samedi 24 novembre 2012

Article de presse paru dans Libération en juin 2005

Un article sur le mystérieux Sergio paru en juin 2005 dans Libération :

Autant l'un est solaire, autant l'autre est lunaire. Cantat, belle gueule extravertie et starisée à la langue rimbaldienne, incarne rigoureusement l'icône rock chantante, façon Jim Morrison. Teyssot-Gay, visage émacié et habité, le plus souvent mutique ou langue pudique, a donné chair au son de guitare, reconnaissable entre mille, du plus grand groupe de rock français depuis Téléphone. Les deux sont amis d'adolescence. «Des frangins», résume le peintre brestois Paul Bloas, ami du combo bordelais.
Longtemps resté ­ volontairement ­ dans l'ombre de Bertrand Cantat, le phare de Noir Désir, Serge Teyssot-Gay se glisse désormais délicatement dans la lumière pour parler de ses nouvelles activités. Mais en prenant bien soin de se tartiner d'écran total. C'est ainsi que toutes les tentatives d'éclairer son intimité ne se heurtent pas à un refus sec et agacé. Non, l'homme est trop doux et gentil pour cela, «les seules gens haïssables sont dans la politique et les affaires», se permet-il tout juste. Ces interrogations glissent sur un visage gêné, pour finir dans un silence souriant. Ses trois filles et leur éducation ? «Je crois que je n'ai pas envie d'en parler.» Son enfance ? «Ma mère était secrétaire. Mon père dans les travaux publics, je crois... Ils se sont séparés neuf mois après ma naissance à Saint-Etienne. J'ai déménagé avec ma mère dans la banlieue de Bordeaux.»
Il sait une question incontournable. Il l'attend, autant qu'il la redoute. Comment a-t-il vécu le drame de Vilnius, l'été 2003, qui a conclu à l'homicide involontaire de Marie Trintignant par son compagnon Bertrand Cantat ? Et stoppé net les activités de Noir Désir pour une période que l'on craint définitive ? Il fronce les sourcils : «Je ne sais pas quoi dire sur ce regrettable accident... Je ne sais pas si j'ai envie d'en parler...» Long silence. «Et puis mieux vaut se taire par respect de la mémoire de la morte.» C'est dit.
Serge Teyssot-Gay préfère parler de ce qui l'amène à être assis dans ce bistrot de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), commune où il vit depuis treize ans, devant un café et son paquet de tabac blond : l'union de sa six-cordes électrique avec l'oud du virtuose syrien Khaled Al Jaramani, qui a donné vie à un album singulier porté par des psalmodies. Le fruit d'une rencontre dans un concert privé lors d'une tournée de Noir Désir au Proche-Orient, en 2002. Si le verbe reste limité entre les deux hommes ­ Serge ne parle pas arabe, Khaled ne connaît pas le français ­, la sincérité du dialogue entre les arabesques des deux instruments est saisissante : «On est parti de l'impro, mais, au final, les morceaux sont assez structurés.»
Ce n'est pas la première incursion de Serge Teyssot-Gay dans un univers musical inconnu. Depuis sa première expression solo, Silence radio en 1996, le guitariste a multiplié les expériences : l'album On croit qu'on en est sorti, sublime adaptation de la Peau et les Os (1948), textes de l'écrivain français Georges Hyvernaud sur son enfermement dans un oflag ; une participation à un morceau du groupe rap français La Rumeur ; des illustrations sonores de divers textes et lectures, notamment de l'éditeur Bernard Wallet et de sa compagne écrivaine Lydie Salvaire. «Il travaille en immersion absolue, témoigne Wallet. Il peut passer une semaine en studio sans manger ni dormir. Dans la création, il a un investissement total sur le plan physique. Serge est quelqu'un d'entier, mais ce n'est pas un intellectuel.» Teyssot-Gay ne dit pas autre chose : «Je suis un instinctif. Je fonctionne comme ça. Je réfléchis après.» Paul Bloas : «Il aime l'inconnu, on va toujours le trouver là où on ne l'attend pas. Mais il va à l'essentiel, sans concession.» Pour le batteur de Noir Désir, Denis Barthe, «Serge est de loin le plus bosseur du groupe. S'il est très réfléchi, il peut se révéler totalement impulsif. C'est un faux calme qui adore déconner, on passe 80 % de notre temps commun à cela».
Si le lycée ne l'a guère passionné ­ «je ne savais pas de quoi on me parlait. C'était l'horreur !» ­, il lui aura permis de faire la rencontre décisive. Celle de Cantat. Après une seconde calamiteuse, il est réorienté. «On m'a proposé plein de trucs. J'en n'avais rien à faire. Alors on m'a mis en BEP commerce, il y avait plein de filles, heureusement !» La guitare, elle, l'a démangé tôt, il l'a grattée pour la première fois à 9 ans. «J'ai joué du classique pendant neuf ans, j'ai appris à lire des partoches. Après il y a eu Bertrand... On a cherché à créer notre langage, à s'inventer. J'ai pas cherché à apprendre les bases, je préférais trouver tout seul, construire mon alphabet, créer mon propre langage. C'est comme le rejet d'un père quand tu es en crise d'adolescence.» Le son Noir Désir, il l'appelle simplement «mon jeu». S'il n'écrit pas ­ «je suis super nul, et j'ai pas le temps» ­, lit très peu ­ «pas le temps non plus» ­, mis à part quelques livres de SF «pour le divertissement», va rarement au cinéma et évite la télé, Serge Teyssot-Gay ne passe jamais une lune sans lire la presse, ni agripper sa guitare. «Si je suis tout seul, je suis capable de jouer toute la journée. Ça canalise mon énergie. J'aime ça, chercher. Je peux passer du temps sans aucun résultat. Ce qui compte, c'est le chemin. Le résultat est juste un épisode.» Qui l'a déjà vu sur scène avec Noir Désir, élastique bondissant, virevoltant sans que ce soit une posture ­ «je me fous de ce que je montre sur scène»­, ne sera pas surpris d'apprendre ses séances de piscine et d'assouplissement quotidiennes. Des activités de solitaire, toujours, pour cet adorateur de Django Reinhardt : «Oui, j'aime être seul. Mais je crois à la démarche collective. On va plus loin à plusieurs. J'aime me faire bousculer.»
Bousculer aussi. S'engager pour des causes. Au dernier festival des Transmusicales de Rennes, il a participé à un spectacle avec les ados d'un foyer ­ «des gamins à qui on n'a jamais dit quelque chose de positif». Lors des concerts organisés par le Gisti (Groupe d'information et de soutien des immigrés) ou encore avec des détenus mineurs. «Mon engagement à moi passe par une démarche artistique. Je me méfie toujours des gens qui se disent engagés, radicaux. La radicalité n'est pas là où elle s'affiche. Je n'éprouve pas le besoin de revendiquer les choses de manière voyante.»
Ces temps-ci, après avoir goûté la production en studio d'un double CD et d'un DVD de la dernière tournée de Noir Désir en 2002, qui sortira en septembre et dont les bénéfices seront versés aux enfants de Marie Trintignant, Serge Teyssot-Gay s'est remis à ses projets de musique de films et de pièces de théâtre. Mais, à l'évidence, il lui tarde de retrouver Noir Désir, quand Bertrand Cantat sera libre, et de dessiner la suite de leur aventure : «On verra où ça nous mène. Ce que je sais, c'est que je ne peux pas faire de rock sans mes potes. Le groupe d'humains est toujours là. C'est ce qui compte. Mais il est encore trop tôt pour se projeter. On verra quand Bertrand sera sorti. Mais une chose est sûre : on sera là avec lui.»
En attendant, il poursuit sa quête de «musique expérimentale» avec deux copains. Chercher encore. Trouver souvent. Jouer toujours.

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