dimanche 16 décembre 2012

L'éphémère résurrection de Noir Désir - LE MONDE | 15.09.05 | 13h10

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L'éphémère résurrection de Noir Désir - LE MONDE | 15.09.05 | 13h10
Partout, ils sont quatre : sur la couverture ou à la une de la dizaine de magazines et journaux auxquels le batteur Denis Barthe, le guitariste Serge Teyssot-Gay et le bassiste Jean-Paul Roy viennent d'accorder des entretiens. Les trois musiciens s'expriment à l'occasion de la sortie (le 19 septembre) d'un double CD - ­ En public - et d'un double DVD ­ - En image ­ - enregistrés en concert. Leur groupe, Noir Désir, apparaît toujours au complet, accompagné de son chanteur, Bertrand Cantat. "Nous avons refusé toute session photo à trois, précise Denis Barthe, de même que nous ne ferons aucune télé. Nous aurions mal vécu d'être présents sans Bertrand".
Il est en effet difficile d'ignorer que Bertrand Cantat purge à la prison de Muret (Haute-Garonne) une peine de huit ans pour avoir tué, lors d'une dispute, à Vilnius (Lituanie), en juillet 2003, sa compagne, la comédienne Marie Trintignant.
Il y a onze ans, la parution du premier album live de Noir Désir, Dies Irae, n'avait pas suscité une couverture médiatique démesurée. Mais le premier signe de vie, depuis le drame de Vilnius, du groupe qui était, en 2003, la formation rock la plus populaire de France, suscite questions, émotions, interprétations.
INTERMINABLES DÉBATS
Ce disque et ce DVD font-ils office de machine à remonter le temps ou à prévoir l'avenir ? Ils étaient planifiés de longue date. En 2003, "Noir Déz", a vendu un million d'exemplaires de l'album Des visages des figures, paru en septembre 2001 et conclu une tournée triomphale en France et à l'étranger. "Habituellement , se souvient le batteur, nous finissions les tournées avec l'envie de nous couper de tout. Cette fois, nous pensions à retourner en studio pour enregistrer rapidement un nouvel album, plus brut, plus rock'n'roll."
Après avoir enregistré la bande-son d'un DVD, Mada , consacré au peintre Paul Boas, le quatuor s'était lancé dans le choix et le mixage de la vingtaine de morceaux qui devaient figurer sur un double album live. "Ces enregistrements nous tenaient à coeur, explique Serge Teyssot-Gay, sur la tournée, nous avions élargi le groupe à un clavier-sampler, Christophe Perruchi, qui permettait une relecture de nos anciens morceaux."
Cet été-là, Sergio, Nini et Jean-Paul oeuvraient dans un studio des Landes, pendant que Bertrand avait emporté en Lituanie la centaine de versions parmi lesquelles devait figurer la sélection finale. "On a beaucoup glosé, déplore Denis Barthe, sur le fait que Bertrand ne sortait pas de sa chambre d'hôtel, à Vilnius, pendant le tournage du téléfilm dans lequel jouait Marie Trintignant. En fait, il travaillait."
La tragédie fera remiser sine die le projet de disque en concert. Les musiciens font face, en silence, à la tourmente, et partent régulièrement soutenir leur chanteur, emprisonné à Vilnius. "Nous n'étions plus une entité artistique, souligne Teyssot-Gay, nous étions une famille, des frangins." Le transfert en France de Bertrand Cantat, le 28 septembre 2004, redonne envie au groupe de terminer ce qu'il avait entrepris. "Après dix-huit mois de retenue, justifie Denis Barthe, à ne parler que de choses dramatiques, nous nous sommes dit que nous pouvions repenser au groupe, nous tourner vers quelque chose de positif, en reparlant de musique, ce langage avec lequel nous nous comprenons le mieux. Finir ce live, ce pouvait être une petite fenêtre ouverte pour Bertrand."
Pour cette formation habituée, depuis près de vingt-cinq ans, à d'interminables débats internes à propos de la moindre décision à prendre, il était impensable de se remettre au travail sans l'aval et l'implication de son chanteur. "Nous avons demandé au ministère de la justice si on pouvait le faire participer au mixage. Nous avons obtenu une autorisation pour deux après-midi, au printemps 2005. La première écoute a provoqué un gros coup de blues. Bertrand n'avait plus entendu de musique de Noir Désir depuis deux ans. Nous avons essayé de dédramatiser la situation. Puis, à quatre autour de la table, les murs ont semblé disparaître. Bertrand a pointé des voix, une rythmique qui ne lui plaisaient pas. Nous avons défendu certaines options, comme lors d'une réunion normale. Pour le visuel de la pochette, nous avons ensuite échangé des courriers et des coups de téléphone."
RÉOXYGÉNATION DU GROUPE
Le batteur, le guitariste et le bassiste sont conscients que ces nouvelles sorties choqueront certains. Denis Barthe tire comme conclusion que "Bertrand est quelqu'un comme tout le monde, capable du meilleur et du pire. Cela n'a jamais remis en question ce que nous avions fait avant" . Volontairement, le groupe et sa maison de disques, Barclay, ont choisi des titres d'album - ­ En public ­ - et de DVD - ­ En image ­-, les plus neutres et les moins sujets à interprétation.
"En revanche, prévient Serge Teyssot-Gay, pas question de censurer l'intensité de la musique et des textes. A l'écoute, les premiers mixages nous avaient parus trop lisses. Nous avons opté pour la puissance de notre son de scène."
Cette réoxygénation du groupe est-elle porteuse d'avenir ? "Nous ne faisons pas de projet. Dans l'histoire du groupe, toutes nos décisions ont été prises après de longues discussions tous les quatre ensemble. Les conditions ne sont pas réunies pour avoir cette discussion. L'envie de rejouer ensemble n'a jamais disparu, mais dans quel contexte ? Sous quelles formes ? Une répétition ? Un album ? Une tournée ? Un concert unique ? Tout est concevable."
En attendant, le groupe balaie l'idée d'exploiter les fonds de tiroir. Les six morceaux enregistrés en acoustique pour une émission de radio italienne ainsi qu'une dizaine d'inédits restent de côté. Barclay, à qui le groupe doit encore un album studio, a choisi de ne rien lui demander, au moins tant que Bertrand Cantat restera en prison.
Si les musiciens ont pu rejouer deux par deux ­ - Serge avec Jean-Paul pour accompagner une lecture de l'écrivain Lydie Salvayre, Jean-Paul avec Denis pour la bande originale du prochain film d'Albert Dupontel ­-, les trois n'ont pas eu le courage de répéter ensemble sans leur chanteur. "En trio, l'absence de Bertrand serait trop grande pour qu'on échappe à la déprime", remarque Teyssot-Gay.
Ces dernières semaines, Jean-Paul Roy a mis sa basse au service de la tournée de Yann Tiersen. Dans son studio, près de Bordeaux, Denis Barthe a produit une compilation hommage au chanteur belge Arno et le nouvel album des Têtes raides (à paraître cet automne). Serge Teyssot-Gay a tourné, en 2005, sous le nom d'Interzone, avec le joueur de oud syrien Khaled Al Jaramani, avec qui il enregistrera bientôt un deuxième album. Il a aussi formé un trio avec le batteur Cyril Bilbeaud et le guitariste Marc Sens, dévolu à l'accompagnement de lectures littéraires. De nombreuses façons d'essayer de combler un énorme vide.



AFP/BERTRAND GUAY Le groupe Noir Désir en concert au Zénith de Paris, lors des 17es Victoires de la musique, le 9 mars 2002.

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